Dans mon précédent message sur les raisons de l’effondrement du World Trade Centrer, j’ai fait brièvement mention d’un appartement sis au onzième étage d’un immeuble qui en comptait… qui en comptait plus (ces hauteurs vertigineuses me le donnent, justement, le vertige). Nonobstant l’altitude himalayesque (1) de ce bâtiment dont l’aspect, la technologie et le dernier nettoyage dataient au mieux des années soixante-dix(2), la visite de cet appartement vendredi dernier fut intéressante. En effet, évoquant l’aspect pitoyable et décrépi de l’appartement, l’agent immobilier avait précisé que l’appartement était très stylé « années soixante » (3). Sans tenir compte des deux balcons (longs mais étroits) qui m’inspiraient autant confiance que Wall Street aux investisseurs pendant le jeudi noir de 1929, l’appartement était vraiment peu engageant. Mais, par contre, la pseudo dentelle en plastique le long des bordures des étagères dans les placards était amusante. Lorsque j’en arrive à la question qui tue (4), celle du double vitrage, l’agent immobilier, qui m’a l’air de s’y connaître en ventilation et en fenêtres modernes comme moi en droit maritime paraguayen(5), me dit « vous savez, si on met du double vitrage, ça respire moins (6), et après, ça devient tout vermoisi ». Le mot était lâché. Sans connaître la définition exacte du mot, je subodorais(7) qu’il avait un rapport avec vermoulu et moisi. Ne voulant pas passer pour un con, j’opinais et je le laissais dériver dans sa diatribe, et à la fin de la visite, je ne lui laissais aucune illusion sur mon manque patent d’envie d’habiter dans un appartement vieillot et propice au vertige. Ne voulant pas rester idiot, je suis allé chercher la définition de vermoisi, et généreux, j’ai décidé de vous la fournir, dont acte :
VERMOISI, -IE, adj. et subst. masc.
A. [En parlant du bois, d’objets en bois, de nourriture, de papier, d’os, etc.] Attaqué, altéré par des organismes qui affaiblissent la structure par l’apparition de galeries et développent une flore et une faune microscopique. Banc, charpente, escalier, plafond, plancher vermoisi(e); boiseries, planches, poutres vermoisies. Pain vermoisi, dictionnaire vermoisi. « J’aime mieux un Harlequin passion pour égayer mes soirées que les attendus de la cour des comptes et l’encyclopédie médiévale vermoisis qui traînent dans la bibliothèque de feu mon papa » (PINGEOT, Journal Intime, 1997, p. 4670). « Les espars vermoisis achevaient leur lent pourrissement dans un coin de la plage abandonnée. Coquillages et crustacées délaissaient même les tristes reliques du naufrage pour se réfugier dans les profondeurs abyssales jouxtant l’île ou Polisson avait échoué » (TROUNIAIS, Mercredi et Jeudi sont dans un bateau, 1970, p. 82).
P. anal. Destructuré ou rongé par un phénomène extérieur. « Ces pilotis sont vermoisis, minés par les eaux » (TOUBOIS, Histoire lacustre Poitevine, 1848, p. 340). « C’est le tableau anatomique désormais classique de la sénilité cérébrale avec artériosclérose (…): l’état vermoisi du cortex cérébral, l’état criblé de la substance blanche (Ce que la Fr. a apporté à la méd., 1946 [1943], p. 250).
B. Qui contient des parties, des éléments vermoisis. « Au fond étaient la cuisine et la buanderie, dans cet appartement vermoisi et sombre » (ZOUELBEC, Rêveries fumigènes, 1992, p.42). « La ville de Neuilly est extrêmement calme et bourgeoise, et c’est donc loin des habitations vermoisies que s’élève la demeure de Sarkozy » (FAILLO, Un président qui va nettoyer, 2007, p.148). « Je parus enfin, tournant la clef de la classe vermoisie, qui était fermée depuis sept mois » ( BOUGON-RICARD, La reprise des cours après les manifestations anti-CPE – Constat du mal-être d’un professeur, 2006, p. 321).
P. méton. Qui provient d’un endroit contenant quelque chose qui est vermoisi; qui évoque le vermoisi. « L’air vermoisi s’exhalait du tombeau de Harcocys Ier, pharaon de la troisième dynastie et successeur de Kchi-Ra II » (ROSETTE DE LYON, Les pires amides de France, 1817, p.486). « Cette ville (…) vous touche le visage de ses relents lourds et vermoisis » (HABRIBUSSE, Transports Toulousains, 1999, p.214). ). « La forêt (…) était humide comme une salle de bain. Quand on entrait dedans (…) une odeur vermoisie, une buée d’eau croupie, d’herbes mortes, de terre abandonnée, vous enveloppait » (MAUPASSANT, Contes et nouvelle, t.8, Mortelle, 1883, p.314).
C. Au fig. Qui présente un état d’ancienneté, de délabrement, de décrépitude et de pourrissement. Gouvernement, chambranle vermoisi; Table, histoire vermoisie. « Oncques ne voudrait autre chance que de vivre avec toi jusqu’à ce que notre amour soit vermoisi par le temps passé cote à cote, holocauste expiatoire de nos être à la dureté d’un monde hétéroclite ! » (LAPIPAUDIERE, Ode à Cunégonde Boissart, 1909, v. 1265). . « L’incurie manifeste de l’ordonnance portant acte de la dyslexicalisation anatomique dans la persistance ministérielle est le manifeste qu’un gouvernement vermoisi conduit par ses dérives technocratiques antédiluviennes notre glorieuse nation sur le chemin de la décadence et du renoncement aux valeurs intrinsèques de la république égalitaire méritocratique, dans la droite ligne de ce passé nauséabond de mai soixante-huit. Une seule solution se présente donc pour ébranler cette République vermoisie : la radicalisation et l’introduction des entreprises dans la gestion quotidienne des affaires publiques » (DASSEILLIERES, LAGARDOUYGUES & PARISOLLORE, Analyse symptomatique de l’incurie des gouvernements de la cinquième République, 2006, p. 212).
Prononc. et Orth.: [vεRmwazi]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1266-67 vermoisi « pourri par les insectes xylophages » ( ROBERT LE CLERC, Vers de la mort, éd. C. A. Windahl, CCXXIII, 9); 1283 vermoisi (PHILIPPE DE BEAUMANOIR, Coutumes de Beauvaisis, éd. A. Salmon, § 1141); 2. 1572 au fig. (AMYOT, De la tranq. d’âme, 36 ds LITTRÉ). Comp. de ver* et de moisi, part. passé de moisir*, littéral. « moisi par les vers ». 3. 1924 redef. (JULES ANDRE GONZAGUE HADRICOURT DE LA BÂCHE , Usage du Français et néologismes dans les métiers du bâtiment, PUF, 1924, p. 115. 42 ds LITTRÉ). Conf. par les employés ibères(8) de l’industrie du bâtiment de vermouth* et choisi, le vermouth choisi étant le procédé de macération du bois dans une peinture à base de vermouth, qui rendait un aspect satiné, mais qui ne tenait pas les injures du temps(9) . 4. 2007 nouv. constr. (GESTRIMMO, Novlangue et subjugation du client locataire – note technique interne, 2007, p. 77.). Concat. par les employés des agences immobilière de vermoulu* et moisi, part. passé de moisir*, littéral. « vermoulu et moisi ».
Notes de bas de page :
(1) => C’est-à-dire trop haut pour moi
(2) => Et encore, du tout début, sans la boule à facettes, la musique disco et les couleurs flashy.
(3) => C’est à dire dix ans de plus que l’immeuble, ce qui est franchement peu engageant en y repensant.
(4) => Il y en a plusieurs, mais celle là tue vraiment souvent. D’autres sont le type de chauffage (individuel électrique ? Mon dieu, quelle horreur), les garanties à fournir (on m’a une fois demandé de justifier de six fois le montant du loyer, plus une caution parentale, alors que je suis ingénieur et assez bien payé), la nature exacte des charges, et si le propriétaire prendra à sa charge (ou allègera le loyer si on le fait) la rénovation (voire la remise aux normes) de certaines parties de l’appartement.
(5) => Le Paraguay, tout comme l’Autriche, est un état sans accès à la mer. Je gage donc que son droit maritime doit être complexe, et je n’y connais donc strictement rien, tout comme Kouchner aux affaires étrangères, me direz-vous, mais moi, je n’ai pas été chargé par le président de m’occuper d’un truc auquel je n’y connaissais rien sur le seul prétexte que je n’avais pas d’exigence particulière pour ce poste (au contraire d’Hubert Védrine).
(6) => En fait, lorsqu’on installe du double vitrage, on doit prévoir une ventilation, afin justement d’éviter la concentration de l’humidité. Sans affirmer que c’est une obligation légale, c’est au moins une mesure de prudence élémentaire.
(7) => L’appartement, dont les fenêtres étaient ouvertes, ne sentait pas grand-chose, ce qui permettait à mon odorat d’avoir une certaine finesse.
(8) => Car si l’ibère était rude en ces temps ou la pollution n’affectait pas encore de manière notable le climat de nos riantes contrées riches et industrialisées, le français l’est plus encore en ce qui concerne l’usage judicieux des mots !
(9) => Car le temps est assassin et emporte avec lui le rire des enfants (10).
(10) => Et les mistral gagnants ! Le temps est vraiment un enfoiré en fait…
Lipton, Maître de l'Univers et du reste. 